Tuesday, October 20, 2020

Métamorphoses à la bibliothèque!

 Je me réveille sur un rêve que je viens de faire, je suis tellement ému et plein de verbe que je me décide de noter ce que je viens de vivre avant que les vapeurs de l'aube ne l'effacent.

Marié sur le tard, j'ai un enfant de quatre ans qui rentre en "moyenne section" (le "grand jardin" de mon temps; malgré l'épidémie de la COVID19 il y va en présentiel quelques heures par jour et il est tellement épanoui, que j'ai été vraiment déçu d'apprendre, ce matin,  la suspension des classes pour six jours. De mon temps nous étions sans école des semaines durant, non pas à cause d'une épidémie mais à cause des bombardements. Quelle que soit la cause, l'effet est le même: priver l'enfance de sécurité et de stabilité tellement nécessaires à sont épanouissement.

Revenons à mon rêve.

Le lieu: la bibliothèque du collège de La Sagesse, Achrafieh; un samedi après-midi.

Le temps: le temps actuel, je suis avec ma femme Diala, je parcours avec elle les rayons en lui racontant les émois d'un enfant-adolescent qui découvre la vie à travers les livres. Je lui parle avec émotion en passant d'un rayon à l'autre. 

Les personnages: 

Un aide-bibliothécaire, plutôt jeune, qui fait son travail comme il peut un samedi après-midi. Quand j'accours vers le rayon où, de mémoire, je sais que "Guerre et paix" se trouve, il me passe un livre qui parle de paix de Jean-Paul II à sa place; et ma femme de lui mettre les points sur les I. 

La bibliothécaire, une femme d'une soixantaine d'années, aigre et qui ne cesse de crier qu'il faut rapidement évacuer la salle à l'approche des dix sept heures - il semble qu'un évènement privé se déroulera à la bibliothèque après sa fermeture pour le public. J'essaie de discuter pour socialiser avec elle; elle m'écoute à peine, elle est couchée par terre comme un mécanicien sous une voiture qu'il répare. Je suis debout avec une vue plongeante sur son visage. Elle finira par s'adoucir quand elle apprendra que je suis ancien du collège et médecin.

les employés de nettoyage, du Bangladesh, qui font le ménage alors que j'essaie de remettre les livres à leur place. Il s'excusent en m'expliquant que, d'habitude, la bibliothécaire ne met pas  les gens à la porte de la sorte: en ce samedi exceptionnel elle est stressée par l'évènement qui va venir. 

Ma femme bien aimée Diala découvre son mari qui se livre à travers ses lectures. Comme d'habitude, elle est quelque peu intransigeante sur la qualité du service.

Maintenant que la scène est dressée, les livres de mon enfance font surface.

Il y a, bien-sûr, Guerre et paix, gros pavé duquel je ne me rappelle que du passage qui dénigre la guerre. Ce passage je l'avais recopié et relu à maintes reprises. 

Un autre livre que je n'ai jamais lu est La religieuse de Diderot. Mme Rose Jalkh, bibliothécaire en fonction m'avais convoqué et repris ce livre jugé non adapté à mon âge.

Les discours de Robespierre, en trois volumes de reliure blanche trainaient sur un des rayons. Robespierre "l'incorruptible" représentait pour moi l'image du père dans cet univers mouvant des années quatre-vingt au Liban. Mon propre père avait été emporté par la maladie à cette époque charnière. 

Des poèmes de Prévert il me reste ce "Pater Noster" insolemment repris par notre prof de français, Mr Rouhana qui martelait: "Notre Père qui êtes aux Cieux… restez y" 

Je me souviens même avoir brulé un livre, c'était Le Nouveau testament et rien d'autre! Bien sur c'était une version protestante qu'un certain prêtre qui nous enseignait la catéchèse, m'avait dis que ce n'était pas la "bonne" version. Moi, qui ne voulait que des choses "bonnes", j'ai fait le reste!

Les aventures de Jules Verne me transportaient loin des miasmes et du sang desséché sur le pavé de ma rue.  J'ai toujours présent à mon esprit l'image de ce savant farfelu qui "décapitait les chardons" de dépit avec sa canne. 

De Balzac je me rappelle des descriptions fastidieuses des débuts de chaque roman: une fois dépassées, elles faisaient place à des interactions humaines avouables et moins avouables d'une intensité rare. 

Dans "Chiens perdus sans collier" un  passage décrivait un jeune adolescent qui découvrait le contact physique avec le corps d'une femme nue. Mr Antoine Hélou, notre prof de français de l'époque nous avait expliqué que l'érotisme pouvait faire partie de la littérature. L'année précédente une mère d'élève s'était offusquée de ce que son fils pouvait lire à l'école. 

Maintenant que je viens de coucher sur papier mon rêve tout frais, je sors du sommeil et reprends le fil du temps présent. 

Ce temps qui, comme la lave en fusion, crève la coque du passé pour façonner le futur sous des formes nouvelles et inattendues. 

Puissions-nous nous rappeler toujours de cette fournaise intérieure qui vit en nous et livrons nous à l'étonnement devant les métamorphoses qui nous font grandir. 

J.H. le 20 Octobre 2020 aux lueurs de l'aube.